Moscou Allers et retours

1. À l’Origine

En 1991 Nikolaï Ogryshkov fonde la première académie de danse contemporaine de Moscou.

Dans sa folle entreprise il est très vite soutenu par Pascale Just du CCF de Moscou. S’établit alors un partenariat entre la petite école et le CCF. C’est ainsi qu’ en 1994 à l’invitation de Pascale Just, alors en poste au Centre Culturel Français, je retrouve N.Ogryshkov que j’avais connu comme étoile des Ballets Moïsseiev dans les années 80 à Paris.

Nikolaï me propose de participer à la formation d’un groupe d’une dizaine de petites filles jusque là essentiellement éduquées en danses classique, traditionnelle et jazz.
Elles ont une dizaine d’années et à côté des cours « techniques » je décide de leur proposer un atelier d’improvisation dans le but de développer leur conscience du mouvement et cultiver leur propre imaginaire afin de les amener progressivement à la composition.( Je poursuivrai ce travail jusqu’en 2000.)

Pendant six ans donc je n’ai eu de cesse, dès que j’avais un moment de liberté, de retourner à Moscou dans cette petite école et de retrouver « les filles ».

C’est que je me suis re-connue en elles ; ça a fait comme un grand écho qui n’en finissait pas et cela coïncidait avec le moment où je questionnais mon parcours , où j’avais l’impression d’avoir été conduite malgré moi à embrasser cette vie de danseuse, de voyageuse.

Au fil du temps je me rendais compte de la façon dont mon apprentissage m’avait façonné le corps et l’esprit ; en rencontrant ces jeunes filles j’ai tenté de partager avec elles ce que j’avais découvert :

Ne pas se perdre dans cette recherche de la perfection/Accepter ses limites, elles sont aussi notre richesse /Ne pas se laisser enfermer dans le regard de l’autre /Chercher son équilibre entre le dedans et le dehors /Garder les yeux ouverts sur le monde.

Il y avait donc cet espace familier à partager, celui de la pratique quotidienne d’une discipline mais aussi le désir que j’avais de les accompagner dans l’aventure de la découverte d’elle-même .

La danse passe pour être un langage universel « qui traverse les frontières »

Depuis ma petite enfance je n’ai cessé d’être confrontée à d’autres cultures que celle de mon pays de naissance ; puis grâce à mon métier le voyage a continué. Ce mode de vie m’a confortée dans le ressenti que l’étranger c’est avant tout soi-même et que c’est aussi et surtout dans la rencontre que je me trouve et me construit , que mon identité est multiple.

Les temps ont beaucoup changé depuis les années 80 où j’ai entamé cette réflexion. Ces jeunes filles sont nées dans un pays clos, ont grandi dans un pays en mutation et se sont exilées pour pouvoir poursuivre leur quête.

2. Témoigner

En 1997 la collaboration entre le CCF et l’école de N.Ogryshkov s’intensifie avec le projet du Conservatoire Itinérant de l’AFAA, qui invite cinq chorégraphes à venir créer des pièces courtes pour ces danseuses en herbe. L’un d’entre eux est Dominique Boivin et est accompagné lors de son séjour à Moscou par Valérie Minetto cinéaste qui réalisera un documentaire sur ce temps de création, « Beau Geste à Moscou ». C’est l’occasion pour Valérie de découvrir ces jeunes adolescentes , mais aussi un pays violent, attachant, mystérieux.

Et c’est l’occasion pour moi de rencontrer Valérie.

Dans un désir commun de poursuivre cette aventure, l’année suivante nous passons trois mois à Moscou (avec le soutien d’une bourse Villa Médicis Hors les Murs) ; ce séjour me permettra d’accompagner la composition d’un spectacle chorégraphié par ces jeunes étudiantes sur la relation qu’elles entretiennent à leur ville et aux saisons et permettra à Valérie de faire un film dans lequel le corps et la ville dialoguent sans cesse.

Ce sera « Moscou entre Ciel et Terre » .

Dans ce film, les fillettes sont devenues des jeunes filles. On y comprend leur amour pour la danse, leur amour de la ville qui les a vues grandir, leur attachement à cette adolescence qui pour l’instant les protège de la réalité du monde.

Combien d’entre elles savent que ce film est leur dernière photo de groupe ?

Car les jeunes filles maintenant ont le désir d’approfondir leur formation et elles n’entrevoient pas d’autre solution que celle de s’exiler. Beaucoup tentent les concours de diverses écoles nationales européennes mais toutes ne réussiront pas

Ce qui constituait un astre unique dans le ciel moscovite, est maintenant éclaté en une multitude d’étoiles.

3. Incarner

Presque dix ans plus tard j’ai eu le désir de retrouver certaines d’entre elles pour inventer une forme qui serait un dialogue entre celles qui sont en France, celles qui sont en Russie et celle qui est au Pays-Bas. Une conversation aussi bien en danses qu’en mots nourrie de leurs expériences.

Ce fut “Asteria, ma vie est un voyage, mon corps est ma maison”

Photos © Stéphane Louesdon / Musique Christophe Chevallier

Par le truchement d’images projetées nous remontons le temps jusqu’à leur passé commun. Nous franchissons les frontières en faisant apparaître sur l’écran en grandeur nature celles qui sont loin . « Présences absentes » avec lesquelles elles ont appris à vivre . Traverser les frontières visibles et invisibles pourraient être la devise des étoiles, elle sera la nôtre…

Expérience de la séparation. Danser l’exil. Expérience des retrouvailles.

Mon corps est ma maison.

Ne pas chercher une unité, mais au contraire raconter les distances.

Nous laissons résonner en nous leurs mots, leurs danses, leur façon de se tenir debout dans le monde d’aujourd’hui et rassembler tout cela en une co-errance, une cohérence.

Ainsi c’est l’échange qui présida à l’élaboration de cette création.

Nous n’avons pas cherché le point commun. Nous avons tracé des portraits.

Lignes de fuites ?

Ce n’est pas un groupe qui danse mais une multitude.

De combien de pas est composée la vie d’une voyageuse ?

Ce projet a reçu l’aide à l’écriture chorégraphique de la Fondation Beaumarchais.
Il a été conçu avec Evguénia Chtchtelkova, Yulia Jabina, Natacha Kalinitcheva, Macha Gvozdeva, Natacha Rodina toutes danseuses également. Avec la collaboration de Valérie Minetto (cinéaste), Irène Galitzine (scénographe), Christophe Chevalier (compositeur) Nicolas Guellier (créateur lumières) et Jérémie Bernaert pour le montage des images. Puis co-produit par la Biennale du Val de Marne et le théâtre Paul Eluard de Choisy le Roi en 2008. En tournée à Roubaix, Sallaumines, Vanves et Moscou.